La TVA sur les opérations de commerce électronique : point sur le régime fiscal issu de la Loi N°2019/023 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2020.
Fiscalité et douane
Le développement des transactions commerciales empruntant les plateformes de commerce électronique met en exergue une façon originale de commercer, en même temps qu’il suscite l’attention fiscale des Etats. Afin d’appréhender ces flux générateurs de revenus, l’Etat du Cameroun a adapté ses règles en matière de Taxe sur la Valeur Ajoutée (ci-après la « TVA ») à l’occasion de l’adoption de la Loi de finances pour l’exercice 2020[1].
Il résulte de ce dispositif fiscal et, précisément, des dispositions de l’article 127 (15) et (16) du CGI, que sont désormais imposables à la TVA :
- Les ventes de biens et les prestations de services effectuées sur le territoire camerounais ou à travers une plateforme de commerce électronique étrangère (ci-après la « Plateforme ») ou locales ; et
- Les commissions[2]perçues par l’opérateur de la plateforme, à l’occasion de la réalisation des opérations taxables.
Il convient à titre liminaire, d’effectuer une radiographie du mécanisme de collecte de la TVA, en s’attachant à l’identification des opérateurs assujettis et aux modalités de paiement.
L’identification des opérateurs assujettis
L’assujettissement à la TVA suppose réunis deux critères que sont l’extranéité de la plateforme[3]et la réalisation au Cameroun à travers elle, d’opérations taxables. Selon la Circulaire, l’extranéité est réputée établie lorsque la plateforme est exploitée par un non-résident. De façon générale, est considéré comme non-résident toute personne dont le Cameroun ne constitue pas le lieu de son principal établissement[4]. Pour mémoire, une plateforme peut être exploitée directement ou indirectement[5].
S’agissant du second critère, il est à noter que les opérations ne sont taxables qu’à la condition d’avoir été réalisées au Cameroun. C’est là un rappel du principe de territorialité qui gouverne la TVA.
Le critère de la présomption permet d’identifier les opérations réalisées au Cameroun. Il suffit pour cela, que le preneur soit établi au Cameroun ou que s’y trouve son domicile ou sa résidence habituelle, quel que soit le lieu d’établissement du prestataire.
Les modalités de paiement de la TVA
Le reversement de la TVA par les opérateurs étrangers est subordonné à leur immatriculation préalable[6]dans les délais légaux, sous peine de suspension de l’accès à leurs plateformes à partir du Cameroun.
Si cette innovation se justifie, l’analyse du mécanisme de sa mise en œuvre révèle cependant quelques zones d’ombres qui demeurent des points à clarifier. Elles se rapportent à l’identification des redevables de la TVA (1), à l’immatriculation et à la sanction des opérateurs de plateformes (2).
Dans le cadre de la présente analyse, la collecte de la TVA sur les opérations effectuées à travers les plateformes établies au Cameroun et les commissions y relatives n’a pas été envisagée, en raison du fait qu’elle est réalisée suivant les conditions de droit commun. Seules ont été abordées les questions que soulève l’application de la TVA aux transactions réalisées à travers les plateformes étrangères.
1. L’identification des redevables de la TVA
La charge de liquider, de collecter de reverser la TVA sur les transactions incombe à l’opérateur exploitant la plateforme. Lorsque la transaction porte sur un bien matériel, c’est à l’administration douanière que revient la charge de collecter la TVA, lors du franchissement du cordon douanier par le bien. En revanche, lorsque les biens acquis via la plateforme sont de nature immatérielle, il est de la responsabilité de l’opérateur de la plateforme de collecter la TVA et de la reverser au Trésor public.
La réglementation précise toutefois qu’en l’absence de collecte et de reversement de la TVA par l’opérateur, les contribuables assujettis à la TVA peuvent spontanément procéder à sa liquidation et à sa collecte. En tout état de cause, l’administration fiscale se réserve le droit d’opérer un contrôle portant sur la régularité de cette autoliquidation.
L’apparente simplicité du mécanisme masque mal la nécessité d’identifier et ce, sans ambiguïté, le redevable de la TVA dans les transactions impliquant un contribuable assujetti (1.1.), ainsi que dans celles où intervient un prestataire situé au Cameroun (1.2.).
1.1. Le redevable de la TVA dans les transactions impliquant les contribuables assujettis
Lorsqu’un contribuable assujetti réalise une transaction sur une plateforme étrangère et que l’opérateur de cette dernière ne collecte ni ne reverse la TVA, la loi dispose que ledit contribuable « peut spontanément liquider et collecter la taxe ». La lecture de cette disposition incline à penser que le législateur aurait offert aux contribuables assujettis une faculté de liquider et de collecter la TVA, qui ne prend naissance que dans l’hypothèse de la défaillance en la matière, de l’opérateur de la plateforme. Sur la base de cette considération, on pourrait alors qualifier les contribuables assujettis de « redevables subsidiaires », à côté des opérateurs de plateformes qui ont une vocation de redevables principaux ou légaux.
L’idée admise, il faut envisager ce qu’il adviendrait du contribuable assujetti qui, nonobstant la défaillance de l’opérateur de la plateforme, n’aura pas spontanément liquidé et collecté la TVA. L’administration sera-t-elle fondée à la lui réclamer, ou, devra-t-elle ne poursuivre que le seul opérateur de la plateforme défaillant ?
Sur le fondement de la maxime « ratio legis est anima legis » et de la prudence, la faculté qui semble avoir été instituée devrait plutôt être interprétée comme un devoir de vigilance, qui pèse sur les contribuables assujettis réalisant les opérations taxables sur les plateformes. Ce devoir de vigilance implique en quelque sorte, qu’ils veillent à ce que quoi qu’il advienne, la TVA soit reversée à l’Etat.
Relativement à la collecte de la TVA, il convient de relever que le législateur n’a pas réglé le point relatif à la présentation de la facture par l’opérateur de la plateforme étrangère. Doit-il comme en droit commun, présenter une facture mentionnant le prix hors TVA et le prix toutes taxes comprises ? Nous osons croire que par souci de clarté et dès lors qu’il est immatriculé à cette fin au Cameroun, l’opérateur de la plateforme étrangère devrait délivrer une facture conforme au formalisme en vigueur au Cameroun.
1.2. Le redevable de la TVA dans les transactions faisant intervenir des prestataires situés au Cameroun
L’opérateur de la plateforme étrangère, doit-il toujours liquider et collecter la TVA quand bien même le prestataire qui exécute la prestation ou vend le bien est situé au Cameroun ?
La loi n’a pas apporté de réponse à cette question. On est tenté de se référer à la Circulaire, qui oblige l’opérateur à collecter la TVA sur le montant facturé au client quel que soit le lieu d’établissement du prestataire. Seulement, une telle solution semble quelque peu contradictoire à l’esprit de la loi, qui a entendu faciliter la collecte de la TVA sur les transactions avec des fournisseurs et des opérateurs situés à l'étranger. Pour mémoire, les fournisseurs locaux restent régis par des règles d'application générale : ces derniers collectent la TVA et la reversent auprès de leurs centres des impôts de rattachement.
Il s’agit, de nouveau, d’une zone grise que les autorités fiscales doivent clarifier, afin de faciliter l’intelligibilité de la loi et éviter toute querelle susceptible d’opposer les prestataires situés au Cameroun aux opérateurs de plateformes étrangères.
2. La clarification du régime de l’immatriculation et celui de la sanction des opérateurs
Il importe de déterminer avec précision le point de départ de l’obligation d’immatriculation des opérateurs de plateformes anciennes (2.1.) ainsi que l’efficacité du mécanisme de sanction qui leur est applicable (2.2.).
2.1.1. Le point de départ de l’obligation d’immatriculation des opérateurs de plateformes opérant au Cameroun
Selon la Circulaire, il appartient à la Division en charge des enquêtes de recenser l’ensemble des plateformes qui opèrent au Cameroun et de les informer de leurs obligations d’immatriculation. Si le point de départ de l’obligation d’immatriculation des opérateurs de plateformes nouvellement créées est la date de début de leurs opérations au Cameroun, celui des plateformes déjà en activité semble être la date de notification de leurs obligations fiscales par l’administration fiscale. C’est en tout cas ce que suggère l’interprétation littérale de la disposition de la Circulaire. En l’absence de notification, quel serait alors le point de départ du délai de quinze (15) jours imparti pour l’exécution de l’obligation d’immatriculation ?
En outre, quelle forme pourrait emprunter ladite notification ? On peut logiquement s’interroger sur le point de savoir si des opérateurs de plateformes opérant au Cameroun mais non identifiés par la Division en charge des enquêtes, peuvent introduire leurs demandes d’immatriculation nonobstant l’absence de notification de leurs obligations ?
En tout état de cause, cette question mérite une réponse, en raison de son impact sur l’établissement d’un manquement de l’opérateur à ses obligations.
2.2. La sanction des manquements aux obligations fiscales des opérateurs
Le non-respect des obligations déclaratives et de paiement entraîne la suspension de l’accès à la plateforme étrangère à partir du territoire camerounais, sans préjudice des sanctions prévues par le Livre des Procédures Fiscales.
La Circulaire semble indiquer que ne sont exposés aux sanctions, que les opérateurs de plateformes qui ne se seront pas conformés à leurs obligations d’immatriculation et de paiement. Considérant le fait qu’il n’y a violation de ces deux obligations qu’autant que l’opérateur de la plateforme étrangère mis en demeure de s’immatriculer par la Division en charge des enquêtes ne l’a pas fait, peut-on valablement soutenir en l’absence de cette notification par l’administration fiscale, que l’opérateur de la plateforme a néanmoins manqué à son obligation, dans la mesure où l’obligation d’immatriculation n’est pas née ?
Incidemment, les plateformes ne figurant pas sur la liste publiée par l’administration fiscale pourront-elles voir leurs sites suspendus d’accès à partir du territoire camerounais ?
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[1] Pour mémoire, le commerce électronique est régi dans ses aspects purement juridiques, par les dispositions de la Loi N°2010/021 du 21 décembre 2010 et son Décret d’application N°2011/521/PM du 11 juin 2011.
Les règles issues de cette réforme s’originent dans le Code Général des Impôts (CGI) et la Circulaire N°005/MINFI/DGI/LRI/L du 21 février 2020 précisant les modalités d’application des dispositions fiscales de la loi N°2019/023 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2020 (ci-après la « Circulaire »).
[2] La commission désigne la rémunération versée à un mandataire ou un intermédiaire du commerce pour l’accomplissement de sa mission (Gérard Cornu – Association Henri Capitant –, Vocabulaire juridique, 11ème édition, PUF, Paris, 2016, p. 202.)
[3] Pour mémoire, une « plateforme numérique » ou plateforme de commerce électronique désigne, au sens de la Circulaire, un « outil digital mettant en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service ».
[4] Instruction N° 0002/MINFI/DI/LC/L du 04 février 2004 précisant les modalités d’application des dispositions de la Loi de finances pour l’exercice 2003 portant impôt sur le revenu des personnes physiques et des dispositions générales et communes à l’Impôt sur les Sociétés et à l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques.
[5] La Circulaire retient deux (2) modes d’exploitation de la plateforme : d’une part, l’exploitation indirecte dans laquelle l’opérateur endosse le rôle d’intermédiaire, se bornant à entremettre les fournisseurs et les clients et, d’autre part, l’exploitation directe, dans laquelle l’opérateur a la qualité de fournisseur et utilise sa plateforme pour procéder à la vente de ses biens et/ou services.
[6] La demande d’immatriculation s’effectue à travers le portail Internet de la Direction Générale des Impôts (ci-après la « DGI »), à l’adresse www.impôts.cm. Les opérateurs de plateformes déjà en activité doivent entreprendre leur immatriculation dans un délai de quinze (15) jours à partir de la réception de la notification faite par la Division en charge des enquêtes. En revanche, les nouvelles plateformes doivent procéder à leur immatriculation dans les quinze (15) jours à compter du début de leurs opérations au Cameroun.