La restructuration des capitaux propres motivée par les pertes : le coup d'accordéon
Affaires, propriété intélectuelle, sociétés, etc.

Le « coup d'accordéon » est une technique qui permet d'apurer en tout ou partie les pertes d'une société en procédant à une réduction de son capital social (on parle de coup d’accordéon à l’endroit) suivie d’une augmentation de celui-ci (on parle alors de coup d’accordéon à l’envers) ou dans le sens inverse.
De la lecture combinée des articles 664 et 665 de l’acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales, lorsque les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social, la société doit se prononcer sur sa dissolution anticipée ou sur la poursuite des activités sociales. Elle dispose de deux exercices suivant celui au cours duquel les pertes ont été constatées pour restructurer ses capitaux propres.
Le « coup d’accordéon » est une technique ainsi baptisée par la doctrine juridique. Elle concerne toutes les sociétés commerciales notamment les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée. En effet, aucune mesure légale n’interdit aux sociétés de personnes d’y recourir.
Cette opération d’apurement des pertes est le plus souvent imposée par les investisseurs et les établissements de crédit. L’augmentation de capital s'impose lorsque la réduction du fait des pertes, a pour effet de le réduire au dessous du minimum légal comme le prescrit l’article 665 de l’acte uniforme suscité.
Le coup d’accordéon procède d’une décision de l’organe social compétent (1), obéit à des modalités pratiques (2) et produits des effets (3).
1. Décision de l’organe social compétent
La réalisation du coup d'accordéon est soumise à certaines règles. Elle est en effet proposée à l’assemblée générale extraordinaire par le conseil d’administration, le gérant ou l’administrateur général selon la forme juridique de la société.
La réduction comme l'augmentation du capital doivent être autorisées par l'assemblée générale extraordinaire de la société selon les conditions de quorum et de majorité requises pour les modifications des statuts aux termes des rapports du conseil d’administration et du commissaire aux comptes conformément à l’article 564 de l’acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales.
Le rapport du conseil d’administration à présenter à l’assemblée générale extraordinaire au titre de cette augmentation de capital, doit indiquer toutes les informations utiles sur les motifs de celle-ci. En cas de libération des actions par compensation avec des créances détenues sur la Société ; ces créances doivent faire l’objet d’un arrêté des comptes établi par le conseil d’administration et certifié exact par le commissaire aux comptes (article 611 de l’acte uniforme).
Conformément à l’article 573 de l’acte uniforme susvisé, les actionnaires pourraient souscrire à titre irréductible, proportionnellement à leurs droits préférentiels de souscription pour réaliser l’augmentation du capital social ; mais, il est à noter que ce droit préférentiel est négociable pendant la période de souscription, laquelle ne peut être inférieure à vingt (20) jours.
Il convient de souligner que le non respect de l’obligation de consulter dans le délai légal les actionnaires sur l’opportunité ou non d’une dissolution anticipée de la société est pénalement sanctionné d’une peine d’emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500.000 à 5.000.000 F .CFA ou de l’une de ces deux peines conformément aux articles 901 de l’acte uniforme susvisé et 19 de la loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression des infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA. Le délit suppose la mauvaise foi du dirigeant social. Le prévenu ne peut arguer de sa bonne foi au motif que les bénéfices réalisés lors des exercices ultérieurs ont permis de reconstituer un actif net supérieur « au seuil critique » du capital social.
2. Modalités pratiques
Le coup d’accordéon peut débuter par une réduction de capital à concurrence de la totalité ou d’une partie des pertes cumulées dans le « report à nouveau ».
Cette approche se justifie en général par la volonté des nouveaux investisseurs d’éviter de subir les effets de la réduction de capital mais une augmentation préalable peut être nécessaire, notamment lorsque les pertes sont supérieures au capital. Cette réduction doit immédiatement être suivie d’une augmentation à due concurrence ou à un niveau permettant que les capitaux propres ne soient pas inférieur à la moitié du capital social.
Les capitaux propres à prendre en considération sont ceux qui ressortent des comptes établis à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation de la perte est intervenue. Ils doivent tenir compte le cas échéant, des pertes subies après la décision de continuation de l’activité.
Quant au capital à retenir, c’est le capital ancien, s’il n’a pas été modifié depuis la décision de poursuite des activités sociales. Evidement s’il a été modifié dans cet intervalle, c’est le capital nouveau qui doit être retenu.
Afin que la société ne se retrouve dans la même situation d’infériorité des capitaux propres par rapport à la moitié du capital social dans un exercice proche, il est envisageable de procéder (juste après la réduction) à une augmentation au moyen d’un montant plus élevé que celui des pertes puis de procéder à une réduction à concurrence du montant des pertes. Auquel cas, l’issue de cette opération serait une augmentation du capital doublée d’un apurement des pertes.
Lorsque la réduction porte le capital à un montant inférieur au minimum légal, elle ne peut être définitive qu'au moment où est réalisée l'augmentation de capital. Aussi, lorsque l’opération devient définitive il y a rétroactivité au jour où elle a été décidée.
Toutefois, au cas où la restructuration s’opèrerait par voie de compensation avec des créances détenues sur la société par un actionnaire, possibilité est offerte à celui-ci de libérer sa souscription par voie de compensation avec lesdites créances. Ce cas de figure est généralement constaté dans des sociétés de groupe presque entièrement contrôlées par la société mère.
L’augmentation du capital social pourrait par ailleurs être entièrement réservée à cet actionnaire lequel supporterait également la réduction, ceci afin de préserver la répartition du capital social.
Pour ce faire, les autres actionnaires devraient expressément renoncer individuellement à leur droit préférentiel de souscription. A défaut l’assemblée générale extraordinaire décidant de l’augmentation du capital pourrait également supprimer le droit préférentiel au profit de cet actionnaire.
3. Effets du coup d’accordéon
3.1. Au plan juridique
Le coup d'accordéon produit des effets tant envers les associés ou actionnaires, qu'envers les créanciers sociaux.
Pour les premiers, la réduction de capital les appauvrit et l'augmentation, s'ils y souscrivent, consiste en un nouvel investissement. Le coup d'accordéon, au travers de la réduction de capital, concrétise la notion de contribution aux pertes.
Pour les seconds, la réduction de capital motivée par les pertes leur est opposable quelle que soit l'antériorité de leur créance. Cependant, les créanciers dont la créance est antérieure à la réduction de capital peuvent s'y opposer en justice lorsqu'elle n'est pas justifiée par des pertes. Toutefois, la diminution des actifs suscitée par la réduction de capital est compensée par l'augmentation des actifs issue de l'augmentation de capital.
3.2. Au plan fiscal
Depuis le 1er janvier 2010, les actes d’augmentation du capital des sociétés bénéficient de l’enregistrement gratis, sans perception du droit de timbre gradué.
Toutefois, la circulaire interprétative de la loi de finances 2010 indique que « les actes concernés par l’exonération du droit de timbre gradué demeurent soumis au droit de timbre de dimension ».
Il s’agit d’un droit de timbre fixe de 12 000 FCFA exigible si les actes sont présentés volontairement à la formalité d’enregistrement.
L’opération de réduction du capital subit quant à elle le traitement fiscal suivant :
Un droit d’enregistrement fixe de dix mille francs (10 000) prévu pour l’acte notarié constatant la réduction du capital, en application des dispositions de l’article 545-B-c du Code Général des impôts.
Un droit de timbre de dimension dont le tarif varie entre 1000 FCFA et 1500 FCFA selon la dimension du papier, en application de l’article 547 du Code général des Impôts.
Rappelons toutefois que l’article 268 du Code Général des Impôts précise que lorsqu’un acte renferme plusieurs dispositions dépendantes tarifées différemment, la disposition qui sert de base à la perception est celle qui donne lieu au droit le plus élevé.
Dès lors, étant donné que l’augmentation du capital est exempt de droit d’enregistrement et que la réduction du capital est passible du droit fixe de 10 000 F CFA, l’acte constatant l’augmentation et la réduction du capital devra supporter le droit fixe de 10. 000 F CFA.
3.3. Au plan comptable
Au plan comptable, le coup d’accordéon se matérialise par un simple jeu d’écriture. En effet, le report à nouveau figurant au bilan est débarrassé en tout ou en partie des pertes enregistrées avant la restructuration.